L’Anagessa, l’agence nationale chargée de la collecte et de la conservation des récoltes, a officiellement lancé, le 19 février dernier, la collecte du maïs dans plusieurs provinces du pays. Alors que le processus se heurte à plusieurs défis majeurs, l’efficacité de l’Agence est de plus en plus remise en cause, y compris par les acteurs du secteur agricole. De quoi, face à la forte nécessité de la conservation et/ou, mieux, de la transformation des récoltes, interroger l’importance de son existence. Solution ou arnaque ? Chronique.
Par Jean de Dieu Ndikumana
L’Agence est au cœur de nombreuses préoccupations. D’abord, l’insuffisance des équipements. Le manque de hangars, de sacs, d’humidimètres et d’autres infrastructures adaptées complique le stockage des récoltes et empêche une conservation efficace du maïs collecté.
Ensuite, la capacité d’accueil est limitée dans certaines provinces, notamment à Cibitoke, à Ngozi et à Ruyigi. Ce qui empêche, ce faisant, de nombreux agriculteurs de livrer leur production. Faute de moyens adéquats, certains se retrouvent avec des stocks de maïs qu’ils ne peuvent ni vendre, ni stocker correctement.
Un autre problème crucial concerne les paiements retardés. De nombreux agriculteurs se sont vu remettre des jetons au lieu de recevoir un paiement immédiat pour leur production, ce qui a suscité incompréhension et frustration au sein de la communauté paysanne.
Enfin, face à ces difficultés, un mécontentement grandissant s’est installé parmi les producteurs. Beaucoup refusent désormais de livrer leur maïs à crédit et exigent que le gouvernement garantisse les paiements avant d’acheter leurs récoltes. Cette situation compromet la confiance entre l’État et les agriculteurs, rendant encore plus difficile la gestion du stock de sécurité alimentaire.
Les parlementaires tirent la sonnette d’alarme

Les parlementaires reprochent à l’Anagessa notamment de manque de planification
L’inefficacité de l’Anagessa est au centre des préoccupations des parlementaires. Ils ont fait ressortir leurs griefs jeudi 27 février 2025, lorsque deux ministres (Commerce et Agriculture) ont été convoqués pour expliquer la situation du maïs stocké mais déjà en train de pourrir.
La gestion des stocks par l’Anagessa a été vivement critiquée en raison d’un surplus mal géré. Le Président de l’Assemblée nationale, Gélase Daniel Ndabirabe, signifie que le nœud de cette situation est le manque de planification. La ministre du Commerce, Marie Chantal Nijimbere, a tenté de justifier la détérioration des récoltes en expliquant que l’Agence avait collecté une quantité excédentaire de maïs, non anticipée. Cependant, cette explication n’a pas convaincu les députés. Thacien Gahungu estime que cette situation résulte d’un manque de planification plutôt que d’un simple excès de production.
L’absence de prévisions adéquates a été, à juste titre, dénoncée par le président de l’Assemblée nationale. Selon Gélase Daniel Ndabirabe, la mauvaise gestion des stocks met en péril la politique gouvernementale visant à faire de l’agriculture un secteur prioritaire. Sans une planification rigoureuse, le risque de pertes est élevé et l’objectif d’assurer la sécurité alimentaire du pays devient difficile à atteindre.
Un stockage inégal et inefficace selon les régions

Pour Jocky Chantal Nkurunziza, la mauvaise qualité des infrastructures de l’Anagessa plombe la conservation des récoltes
Si le ministère de l’Agriculture a promis d’améliorer la situation en construisant de nouveaux entrepôts, cette mesure reste hypothétique, aucun budget n’y ayant été alloué à ce jour.
Mais ce n’est pas qu’un problème de manque d’entrepôts. La gestion des stocks de maïs par l’Anagessa révèle de fortes disparités entre les provinces. Alors que certaines régions font face à un surplus mal conservé, d’autres souffrent d’un manque criant de réserves pour nourrir leur population. Ce déséquilibre met en lumière une mauvaise répartition des récoltes et une gestion inefficace des ressources.
Ce problème est aggravé par un stockage inadéquat. A l’Assemblée nationale, la présidente de la commission agricole, Jocky Chantal Nkurunziza, a dénoncé la mauvaise qualité des infrastructures de conservation, soulignant que des conditions médiocres ont entraîné la détérioration de grandes quantités de maïs. L’absence d’équipements adaptés et de mesures de contrôle efficaces a favorisé le développement de moisissures et d’autres formes d’altération des récoltes.
L’Anagessa, une solution inadaptée à la conservation des récoltes
L’Anagessa peine à remplir sa mission. Si des réformes profondes ne sont pas entreprises, cette structure risque de continuer à générer des pertes et des frustrations au sein du secteur agricole.
Pour remédier aux nombreux dysfonctionnements observés, le gouvernement doit impérativement prendre des mesures concrètes afin d’améliorer la gestion de l’Anagessa et garantir une meilleure conservation des récoltes.
Tout d’abord, il est essentiel d’améliorer la planification et l’anticipation des récoltes. Une mauvaise estimation des quantités collectées a conduit à des surplus mal gérés et à des pertes importantes. Une planification rigoureuse permettrait d’éviter ces erreurs et d’assurer une répartition équilibrée des stocks entre les différentes provinces.

Ensuite, il est crucial de renforcer les conditions de conservation des stocks en respectant les normes en vigueur. Cela implique la construction d’infrastructures adaptées, l’utilisation d’équipements modernes et le suivi strict des paramètres essentiels comme l’humidité et la température. Une meilleure conservation garantirait la qualité des grains et limiterait les pertes liées à la détérioration des récoltes.
Par ailleurs, le gouvernement doit assurer des paiements rapides et transparents aux agriculteurs. Le système actuel, où de nombreux producteurs reçoivent des jetons au lieu d’un paiement immédiat, suscite méfiance et frustration. Une gestion financière plus efficace permettrait de restaurer la confiance des agriculteurs et de les encourager à continuer à livrer leur production sans crainte de retard ou d’impayés.
Enfin, il est nécessaire d’impliquer davantage le secteur privé dans la collecte et la gestion des stocks alimentaires. L’État, en monopolisant ce processus, a montré ses limites en matière d’efficacité et de gestion des ressources. Une ouverture à des acteurs privés pourrait non seulement améliorer la logistique et la conservation des récoltes, mais aussi garantir une plus grande transparence et compétitivité sur le marché agricole.
Seules des réformes profondes et bien structurées permettront à l’Anagessa de remplir pleinement sa mission et d’assurer une véritable sécurité alimentaire pour la population. Seule une réforme en profondeur permettra à l’Anagessa de devenir un véritable outil au service de la sécurité alimentaire du pays.
Encart :
Comment bien conserver le maïs selon l’IFDC ?
Selon le Centre international pour la fertilité des sols et le développement agricole (IFDC), la technique de stockage des grains de maïs vise à garantir leur qualité et leur conservation en limitant les pertes causées par l’humidité, les moisissures, les insectes et les rongeurs. Pour cela, il est essentiel de maintenir une hygiène rigoureuse en nettoyant régulièrement le lieu de stockage, en éliminant les objets inutiles et en bouchant les trous qui pourraient servir de refuge aux nuisibles. De plus, il faut prévenir les infestations en adoptant des méthodes de lutte adaptées, comme l’utilisation de pièges ou de répulsifs naturels.
Les sacs de maïs doivent être stockés dans des conditions optimales afin d’éviter leur détérioration. Ils ne doivent pas être en contact direct avec le sol ou les murs et doivent être placés sur des palettes avec un espacement suffisant pour assurer une bonne circulation de l’air. Il est aussi important d’utiliser des sacs de même dimension et d’orienter leurs oreilles vers l’intérieur pour faciliter la manutention. Enfin, le contrôle de l’humidité et de la température est indispensable pour prévenir la fermentation des grains et assurer une conservation optimale.
Une meilleure gestion des stocks et une application stricte de ces mesures pourraient éviter les pertes actuelles.