Concours de 9e année : l’illusion de la réussite scolaire au Burundi

Ça y est, le concours de 9ᵉ année se tient entre  ce 26 et 28 mai 2025 à travers tout le pays. A l’approche de cette nouvelle session, Icatsi n’Ururo revient sur une « réussite » qui interroge. Car, au cours des cinq dernières années, en dépit d’un fort taux de passage en classe supérieure, les résultats à ce concours ont été globalement décevants. Dans l’hypothèse où l’évaluation tient compte des connaissances supposément acquises, de nombreux élèves accèderaient au niveau post-fondamental sans en avoir le mérite. Entre des chiffres qui brillent et des élèves qui peinent, analyse.

79,8%. C’est le taux de réussite annoncé par le ministère de l’Education nationale et de la Recherche scientifique, au concours de 9ème, lors de la dernière édition (2023-2024). Pourtant, les résultats des élèves n’avaient pas été aussi satisfaisants. En raison des “places disponibles”, le ministère a admis les candidats ayant obtenu une note trop loin en dessous de la moyenne. Soit 32%. 

Idem pour l’année précédente (2022-2023) : là où seuls 29% des élèves avaient pu passer la barre des 50 % – sur un effectif de 73 824 candidats, ils étaient 21 678 à avoir une note supérieure ou égale à 50 % – , le taux de réussite affiché a été de plus de 85%. Les candidats ayant au moins la moyenne se situaient sous la barre des 20% en 2020 et des 15% en 2019. 

Taux de réussite au concours sur les 5 dernières années

Une stratégie de bouche-trous

Alors que depuis son introduction au Burundi, l’école fondamentale a suscité des interrogations et essuyé moult critiques, ces statistiques semblent légitimer les reproches d’un système éducatif défaillant. Elles pointent une contradiction flagrante d’efficacité. Le ministère de l’Éducation nationale et de la Recherche scientifique permet systématiquement aux élèves d’avancer de cycle malgré des notes médiocres.

Deux postulats peuvent alors être admis :

  • Le système d’évaluation ne tient pas compte des pré-requis que les élèves sont censés avoir à la fin de leur cycle fondamental ; 
  • Les candidats au concours n’ont pas obtenu ces pré-requis au cours de leurs études. 

En admettant qu’il s’agisse d’un problème qui se situe au niveau du système d’évaluation, l’hypothèse résiste mal aux réalités empiriques qui se révèlent dans les cycles suivants. Les retours sont unanimes : ces élèves ont sans cesse avancé de classes sans en avoir le niveau. Si le professeur Evariste Ngayimpenda, alors recteur de l’Université du Lac Tanganyika, regrette : « Les lauréats du post-fondamental fréquentant actuellement les universités ont un niveau relativement bas » (Yaga, 2023), Dr Alexis Manirakiza, enseignant en Faculté de Droit à l’Université du Burundi depuis plus de 15 ans, fait un constat amer : 

« On le remarque quand on enseigne à l’université. Il y a des étudiants qui ont un niveau équivalent à celui de certains élèves de l’école primaire. Même en Master. » (Iwacu, 2024) 

La deuxième hypothèse semble donc davantage se vérifier. La Coalition pour l’Education «Bafashebige» qui a mené une étude sur la qualité de l’enseignement au Burundi, rapporte par exemple : 

« 72 % des apprenants n’ont pas le niveau suffisant en lecture et près de 40 % n’ont pas les compétences nécessaires en mathématiques » (Coalition Bafashebige, 2024).

Dans tous les cas, la dégradation de la qualité de l’enseignement est reconnue, y compris par le ministère de tutelle, qui évoque de «mauvaises conditions d’apprentissage». Quant aux raisons, c’est un secret de polichinelle : des enseignants qui sont souvent contraints d’enseigner des matières pour lesquelles ils n’ont pas été formés (Burundi Eco, 2020) ; l’absence de programmes adaptés aux défis contemporains tels que la gestion des grands groupes et l’utilisation des technologies de l’information et de la communication (TIC), les effectifs pléthoriques ou encore l’insuffisance de manuels scolaires.  

Le secteur éducatif burundais fait face à de multiples défis, notamment les effectifs pléthoriques

Puisque l’institution garante de la qualité de l’enseignement est bien consciente de cette médiocrité, la logique qui préside à ces vraies fausses réussites relèverait dès lors d’une volonté délibérée de remplissage. Une stratégie bouche-trous qui promeut une médiocrité structurelle, au lendemain de l’introduction de la politique de l’éducation gratuite…

Education gratuite : un succès populaire au prix de la qualité 

La politique de «l’éducation gratuite» introduite au Burundi en 2005 vise à assurer un accès universel à l’enseignement primaire, conformément aux engagements du pays dans le cadre des Objectifs du Millénaire pour le développement (OMD), dont «l’éducation pour tous»

Le nouveau pouvoir, qui aura passé des années à dénoncer des pratiques de discrimination systémique à la scolarisation, entend saisir l’occasion pour prendre sa revanche, par des mesures à la fois populistes et populaires. L’éducation gratuite visera, de prime abord, en levant les barrières financières, une augmentation du taux de scolarisation. Une augmentation… 

Cette mesure, dont des résultats spectaculaires sanctionnent rapidement la réussite, sera, aux côtés de la gratuité de la maternité et de soins pour les moins de 5 ans, un outil manifeste de propagande électorale. À ce jour, en dépit des énormes limites qu’elles ont connues, ces deux politiques restent les mesures phares du régime au pouvoir. Elles sont opposées à toute critique hostile au régime, y compris si celle-ci n’a rien à voir avec celles-là, sur le fond.

L’augmentation des scolarisés ( et des diplômés), fût-ce au prix de la qualité de leur éducation, semble ainsi s’ériger en une des rares fiertés du parti Cndd-Fdd. Outre la popularité qu’elle lui confère, notamment auprès de populations dotées de capacités critiques relativement moindres, les commentaires des institutions et organisations internationales (Banque mondiale, Unicef, etc. ) , globalement positifs sur ces taux, légitiment cette fierté.   

Diplôme = diplôme : une logique qui mène droit dans le mur

L’effet nombre est in fine, en pareille occurrence, un levier particulièrement important au service de l’électoralisme. Par cette même stratégie du chiffre, la réussite scolaire devient un outil de légitimation politique et de conservation du pouvoir. Sous pareil régime, où la morale est reléguée au second plan, sacrifiée sur l’autel d’intérêts politiques, la médiocrité des élèves n’est guère plus qu’une préoccupation bas de gamme. 

Mais ce n’est peut-être pas tout : à l’heure où la banalisation des connaissances et des compétences acquises à l’école est de plus en plus de mise, il ne serait pas logiquement inadmissible que la massification des diplômés sans connaissances soit tout autant banalisée, y compris sans aucun calcul électoral. Car, diplôme = diplôme. Nous reviendrons sur ce nouveau paradigme. 

Quoi qu’il en soit, le prix de cette politique du laisser-aller sera lourdement conséquent. Dans un monde extrêmement compétitif, où le savoir coûte de plus en plus cher, le Burundi de demain aura du mal à se trouver une place. Hier comme aujourd’hui, la connaissance constitue un levier à l’émergence des économies. Et ce n’est pas en la méprisant que le Burundi atteindra la vision 2040-2060…

Pour aller plus loin

  1. ReliefWeb. (2005, 19 août). Burundi: Free primary education for all children.
    Disponible sur : https://reliefweb.int/report/burundi/burundi-free-primary-education-all-children
  2. UNICEF. (2009). Examen annuel du programme de pays – Rapport du Burundi.Disponible sur : https://www.unicef.org/executiveboard/media/30076/file/2009-AS-Burundi-CRR.pdf
  3. UNICEF. (2022). Burundi Country Office Annual Report 2022.Disponible sur : https://www.unicef.org/media/135556/file/Burundi-2022-COAR.pdf
  4. Banque mondiale. (2024, 8 février). Empowering Burundian Girls: Leading the Way in Education. Disponible sur : https://blogs.worldbank.org/fr/nasikiliza/empowering-burundian-girls-leading-way-education-afe-0224
  5. Yaga Burundi. (2023). Éducation au Burundi : Félicitations non méritées ? https://www.yaga-burundi.com/education-burundi-felicitations-non-meritees/ 
  6. Iwacu. (2022). Système éducatif burundais sur le déclin. https://www.iwacu-burundi.org/systeme-educatif-burundais-sur-le-declin/ 
  7. Iwacu. (2023). 72 % des apprenants n’ont pas le niveau suffisant en lecture. https://www.iwacu-burundi.org/72-des-apprenants-nont-pas-le-niveau-suffisant-en-lecture/ 
  8. Burundi Eco. (2023). Note de 38 % pour être orienté au post-fondamental jugée basse. https://burundi-eco.com/note-de-38-pour-etre-oriente-au-post-fondamental-jugee-basse/ 
  9. Banque mondiale. (2017, 24 mars). Burundi: A path to learning for a better future.Disponible sur : https://blogs.worldbank.org/en/nasikiliza/burundi-path-learning-future
  10. Ministère de l’Éducation nationale et de la Recherche scientifique (MESRS). (2023, 4 septembre). Point de presse portant sur la préparation de la rentrée scolaire 2023-2024. Disponible sur : https://mesrs.gov.bi/point-de-presse-portant-sur-la-preparation-de-la-rentree-scolaire-2023-2024/
  11. Iwacu. (2022, 3 août). Concours national édition 2022 : 41 % des candidats ont obtenu 50 %. Disponible sur : https://www.iwacu-burundi.org/concours-national-edition-2022-41-des-candidats-ont-obtenu-50/
  12. MESRS. (2020, 7 août). Point de presse sur la publication des résultats du concours national de certification et d’orientation, édition 2020. Disponible sur : https://mesrs.gov.bi/point-de-presse-sur-la-publication-des-resultats-du-concours-national-de-certification-et-dorientation-edition-2020/
  13. MESRS. (2021, 6 septembre). Point de presse portant sur la présentation du bilan des réalisations annuelles 2020-2021 et préparatifs de la rentrée scolaire 2021-2022. Disponible sur : https://mesrs.gov.bi/point-de-presse-portant-sur-la-presentation-du-bilan-des-realisations-annuelles-2020-2021-et-preparatifs-de-la-rentree-scolaire-2021-2022/
  14. Iwacu. (2022, 4 août). La ministre de l’Éducation : “Le taux de réussite de 14 % est vraiment faible”. Disponible sur : https://www.iwacu-burundi.org/la-ministre-de-leducation-le-taux-de-reussite-de-14-est-vraiment-faible/
  15. Iris News. (2024, 10 avril). Le Ministre de l’Éducation nationale face aux députés : interrogations sur les taux de réussite aux concours nationaux. Disponible sur :https://x.com/IrisNews_/status/1901934300192268497
  16. Le Renouveau du Burundi. (2024, 8 mai). Questions orales adressées au ministre en charge de l’Éducation nationale : le manque de matériel didactique et les effectifs trop élevés, entre autres défis à relever. Disponible sur : https://lerenouveau.bi/questions-orales-adressees-au-ministre-en-charge-de-leducation-nationale-le-manque-de-materiel-didactique-et-les-effectifs-trop-eleves-entre-autres-defis-a-relever/
  17. Présidence de la République du Burundi. (2017, 24 mars). Décret n°100/019 du 24 mars 2017 portant réorganisation du système éducatif burundais. Disponible sur : https://www.presidence.gov.bi/wp-content/uploads/2017/03/Decret-019-2017.pdf
  18. Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD). (s.d.). Objectifs de développement durable – Éducation de qualité (ODD 4). Disponible sur : https://www.undp.org/fr/sustainable-development-goals/quality-education

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