Démocratie et Développement : non, le monopartisme n’est pas une solution au développement

Au nom du développement, le multipartisme va-t-il être aboli au Burundi ? C’est en tout cas ce qu’ont semblé suggérer, samedi 31 mai 2025 à Kamenge (Bujumbura),  Révérien Ndikuriyo, Secrétaire général du parti Cndd-Fdd, puis Évariste Ndayishimiye, chef de l’Etat et président du Conseil des sages dudit parti, lors d’un meeting politique.  Alors que de nombreux exemples internationaux soulignent l’importance du pluralisme politique pour le développement, ces responsables politiques entendent privilégier un modèle précisément inverse. Au lendemain d’élections controversées ayant porté 100% des sièges de l’Assemblée nationale aux membres de ce parti, notre analyse revient sur une infox qui ne cherche qu’à légitimer un pouvoir sans partage.

Par Jean de Dieu Ndikumana

Il ressort de l’approche envisagée la volonté d’une absence totale de débats contradictoires. Révérien Ndikuriyo soutient ainsi, repris d’ailleurs presque mot pour mot par le président Evariste Ndayishimiye, que les pays qui se sont développés l’ont été parce que leur pouvoir reposait sur « un parti unique fort, capable d’orienter  le pays vers une même vision ». Le propos semble défendre une forme de dictature qui impose « une vision unique que tout le monde se doit de suivre ». 

Discours de Révérien Ndikuriyo lors de la camapgne électorale pour les législatives le 31 mai 2025

« Si le parti Cndd-Fdd devient parti unique, alors nous nous développerons »

Cette posture soulève un débat crucial sur la relation entre régimes politiques et développement socio-économique. Les travaux de recherche existants que nous avons consultés ( Acemoglu & Robinson, 2012 ; James C. Scott, 1998 ; Jean-François Bayart, 1989) démentent le lien établi par ces politiques, tout comme nombre d’études faites par des experts d’institutions internationales (Banque mondiale, PNUD, Economist Intelligence Unit, etc.). Mais tout d’abord, saisissons ce que « développement socio-économique» veut dire.    

Développement socio-économique : une réalité multidimensionnelle

Le développement socio-économique désigne l’amélioration des conditions économiques et sociales d’une population dans un pays, incluant une croissance durable, la réduction de la pauvreté, l’amélioration de l’éducation, de la santé et de la qualité de vie. Il s’agit d’un concept multidimensionnel qui va au-delà de la simple croissance économique pour intégrer des aspects sociaux et humains (Todaro & Smith, 2015). Il se base sur plusieurs indicateurs : 

1°/ Le Produit Intérieur Brut (PIB) mesure la valeur totale des biens et services produits dans un pays sur une période donnée. Le PIB par habitant est souvent utilisé pour estimer le niveau moyen de richesse et de vie matérielle d’une population. Cependant, cet indicateur présente des limites, notamment parce qu’il ne reflète pas la distribution des revenus au sein de la population ni la qualité de vie réelle des individus (Sen, 1999).

2°/ L’Indice de Développement Humain (IDH), élaboré par le Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD), est un indicateur multidimensionnel qui prend en compte trois dimensions essentielles du développement humain : l’espérance de vie à la naissance (santé), le niveau d’éducation (moyenne des années de scolarisation et années attendues de scolarisation) et le niveau de vie mesuré par le revenu national brut (RNB) par habitant ajusté en parité de pouvoir d’achat. L’IDH est largement reconnu comme un outil pertinent pour évaluer globalement le développement socio-économique d’un pays (PNUD, 2023).

3°/ Le taux de pauvreté ainsi que les inégalités économiques sont également des indicateurs cruciaux. La mesure de la pauvreté peut se faire selon des seuils absolus ou relatifs, tandis que les inégalités sont souvent évaluées à l’aide du coefficient de Gini. Ces indicateurs permettent de savoir si la croissance économique bénéficie réellement à l’ensemble de la population ou si certains groupes restent marginalisés (Banque mondiale, 2022).

4°/ L’accès aux services de base est une autre dimension essentielle du développement socio-économique. Il comprend notamment le taux d’alphabétisation et l’accès à l’enseignement primaire et secondaire, ainsi que des indicateurs de santé comme le taux de mortalité infantile, l’accès aux soins médicaux et la qualité de la nutrition. Par ailleurs, l’accès à l’eau potable et à l’assainissement fait aussi partie des conditions nécessaires à une meilleure qualité de vie. Ces indicateurs reflètent le progrès social qui accompagne souvent le développement économique (OMS, UNICEF, 2023).

5°/ Le marché du travail joue un rôle fondamental dans le développement. Le taux d’emploi, la nature des emplois (emploi formel versus informel), ainsi que la couverture en matière de sécurité sociale sont des facteurs déterminants du bien-être économique des populations. Un marché du travail inclusif et formalisé favorise un développement plus équitable et durable (ILO, 2023).

Monopartisme ou multipartisme ? Une perspective empirique

Burundi présenté comme le pays le plus pauvre du Monde

Le Burundi est souvent présenté comme le pays le plus pauvre du Monde

Les cinq principales puissances économiques mondiales — États-Unis, Chine, Japon, Allemagne et Inde — présentent des profils politiques divers, mais globalement une certaine pluralité politique. Les États-Unis, le Japon, l’Allemagne et l’Inde sont des démocraties multipartites où la compétition politique favorise la transparence, l’innovation et la responsabilisation des dirigeants, contribuant ainsi à leur développement économique (World Bank, 2023). La Chine, quant à elle, bien qu’étant une puissance économique majeure, est dirigée par un régime de parti unique, le Parti communiste chinois. Ce régime a permis une croissance rapide depuis les années 1980 mais fait face à des critiques concernant la restriction des libertés, la censure et le contrôle politique, qui peuvent limiter l’innovation sociale et politique à long terme (Economist Intelligence Unit, 2022). Nous reviendrons sur cette exception qui confirme la règle (voir Infra).

À l’opposé, les cinq pays, souvent identifiés par la Banque mondiale et le FMI comme les plus pauvres du monde, à savoir le Burundi, la République centrafricaine, le Malawi, le Niger ou encore le Soudan du Sud, sont majoritairement caractérisés par des régimes avec un multipartisme de façade. Ici, les partis au pouvoir concentrent le pouvoir politique comme économique et les partis d’opposition n’existent que de nom, souvent inféodés au parti “majoritaire”. Les élections, régulièrement dénoncées fraudées, ne servent que d’outils de légitimation du parti au pouvoir, sans pouvoir permettre quelque compétition politique. 

D’après Transparency International (2023), ces pays souffrent d’une gouvernance faible, d’institutions fragiles et d’une forte corruption, souvent liées à la concentration du pouvoir. « Ces conditions entravent le développement socio-économique, limitent l’accès aux services de base et aggravent les inégalités », s’alarmait la Banque mondiale en 2023.

La concentration du pouvoir nuit au développement, alertent économistes et sociologues 

Jean-François Bayart : « La centralisation excessive du pouvoir engendre des structures étatiques qui freinent le développement »

Acemoglu et Robinson (Why Nations Fail, 2012) soulignent que les régimes pluralistes, même imparfaits, tendent à mieux soutenir le développement durable que les systèmes monopartites, où la répression politique et le contrôle étroit des institutions freinent la croissance économique inclusive. D’après eux, la démocratie pluraliste promeut le développement en intégrant des mécanismes essentiels tels que la concurrence politique, l’innovation et la sécurité juridique qui constituent des piliers indispensables à la croissance économique et sociale. En favorisant la coexistence de multiples partis et opinions, ce système politique encourage une dynamique compétitive qui pousse les acteurs à innover, à répondre aux besoins diversifiés de la société et à améliorer constamment les institutions.

Dans L’État en Afrique (1989), l’éminent politologue Français Jean-François Bayart défend que la centralisation excessive du pouvoir, souvent associée à des régimes autoritaires ou monopartites, engendre des structures étatiques rigides et prédatrices qui freinent le développement. À l’inverse, théorise-t-il, la pluralité politique introduit une certaine « pression compétitive » qui peut limiter les abus de pouvoir et ouvrir la voie à des réformes institutionnelles bénéfiques. Cette compétition pluraliste favorise une meilleure allocation des ressources et une plus grande transparence, éléments indispensables pour un développement durable.

Pour sa part, James C. Scott, dans Seeing Like a State (1998), insiste sur l’importance des connaissances locales et des pratiques informelles qui souvent échappent à la vision étatique centralisée. La démocratie pluraliste, en intégrant diverses voix et acteurs, facilite la reconnaissance et l’intégration de ces savoirs locaux dans les politiques publiques, encourageant ainsi des innovations adaptées aux réalités du terrain. Cela améliore la gouvernance locale et soutient des stratégies de développement plus inclusives.

Enfin, Daron Acemoglu et James A. Robinson (Why Nations Fail, 2012), démontrent que les institutions inclusives, caractéristiques des démocraties pluralistes, établissent des règles du jeu équitables, assurent la sécurité juridique des affaires et protègent les droits de propriété. Ces conditions sont cruciales pour stimuler l’investissement, la créativité entrepreneuriale et la croissance économique. En revanche, les régimes extractifs, souvent liés à des systèmes monopartites, concentrent le pouvoir et les ressources entre les mains d’une élite, bloquant l’innovation et perpétuant la pauvreté.

La Chine : exception ou modèle risqué ?

La Chine est une exception d’un monopartisme modernisateur

Les pays d’Asie de l’Est, notamment la Chine, la Corée du Sud, Taïwan, et Singapour, sont souvent cités comme des cas atypiques dans la sociologie du développement. En effet, alors que la majorité des théories insistent sur la nécessité d’un système politique pluraliste pour assurer un développement durable, ces pays ont réussi à enregistrer une croissance économique spectaculaire sous des formes variées de gouvernance qui ne correspondent pas toujours à une démocratie pluraliste classique.

La Chine, par exemple, est gouvernée par un régime de parti unique, le Parti communiste chinois. Ce modèle autoritaire a permis une croissance rapide depuis les années 1980 grâce à une stratégie d’ouverture économique progressive, à des réformes ciblées et à un contrôle étroit des institutions politiques (Economist Intelligence Unit, 2022). Le régime chinois a su combiner centralisation politique avec une décentralisation économique contrôlée, favorisant l’innovation dans certains secteurs tout en maintenant une forte discipline sociale. 

Cependant, cette réussite mérite d’être nuancée. Les contraintes sur les libertés politiques, la censure et l’absence d’opposition réelle pourraient poser des risques pour la durabilité à long terme du développement (Acemoglu & Robinson, 2012). Le modèle chinois suscite donc un débat : s’il a permis un décollage économique spectaculaire, la concentration du pouvoir politique peut s’avérer problématique face aux défis futurs.

Pour le développement durable, miser sur les ressources et les institutions

Le Burundi est un pays avec moult opportunités et des ressources à valoriser

Le développement du Burundi passera par la gestion efficace de ses ressources tout en activant les leviers stratégiques qui s’imposent

Pour assurer un développement durable et inclusif, le Burundi doit s’appuyer sur ses ressources endogènes tout en activant des leviers stratégiques qui ont prouvé leur efficacité dans d’autres pays en développement, notamment en Afrique.

D’abord, le Burundi dispose d’importantes ressources naturelles, notamment agricoles, forestières et hydriques, qui constituent un socle essentiel pour la croissance économique. La valorisation durable de ces ressources, à travers une modernisation de l’agriculture, le développement de filières agro-industrielles et l’exploitation raisonnée des richesses naturelles, peut générer des revenus et créer des emplois locaux (FAO, 2021).

Ensuite, le renforcement des institutions est crucial. La trajectoire de pays comme le Botswana ou le Sénégal montre que l’amélioration de la gouvernance, la transparence, la sécurité juridique et la lutte contre la corruption sont des leviers indispensables pour attirer les investissements et garantir un environnement favorable aux affaires (World Bank, 2023). Des institutions inclusives et efficaces permettent aussi de mieux répartir les bénéfices de la croissance, limitant ainsi les inégalités.

Par ailleurs, l’investissement dans le capital humain, notamment l’éducation et la santé, est un moteur fondamental du développement. L’expérience sénégalaise illustre combien la formation d’une main-d’œuvre qualifiée et en bonne santé favorise l’innovation, la productivité et la diversification économique (PNUD, 2022).

Le Burundi doit aussi encourager l’entrepreneuriat local et l’innovation technologique, en s’appuyant sur l’amélioration des infrastructures (électricité, transports, télécommunications) et l’accès au financement. Les initiatives réussies dans certains pays africains montrent que ces leviers peuvent dynamiser les petites et moyennes entreprises et stimuler une croissance inclusive (Banque Africaine de Développement, 2023).

Enfin, une ouverture progressive aux marchés régionaux et internationaux, combinée à une intégration dans les chaînes de valeur régionales, peut permettre au Burundi de tirer parti des dynamiques économiques continentales, tout en renforçant sa résilience face aux chocs externes (Union Africaine, 2022).

Références

  1. Todaro, M. P., & Smith, S. C. (2015). Economic Development. Pearson Education.
  2. Sen, A. Development as Freedom. Oxford University Press. 1999
  3. United Nations Development Programme (UNDP). Human Development Report. 2023
  4. World Bank. World Development Indicators. 2022
  5. World Health Organization & UNICEF. (2023). Progress on Drinking Water, Sanitation and Hygiene.
  6. International Labour Organization (ILO). (2023). World Employment and Social Outlook.
  7. Organisation for Economic Co-operation and Development (OECD). (2021). Development Co-operation Report.
  8. Economist Intelligence Unit (2022), Democracy Index
  9. Transparency International (2023), Corruption Perceptions Index
  10. Daron Acemoglu et James A. Robinson, Why Nations Fail: The Origins of Power, Prosperity, and Poverty. 2012
  11. Jean-François Bayart, L’État en Afrique. La politique du ventre. 1989
  12. James C. Scott, Seeing Like a State: How Certain Schemes to Improve the Human Condition Have Failed. 1998
  13. Economist Intelligence Unit (2022). China’s political system and economic growth.
  14. Pei, Minxin (2006). China’s Trapped Transition: The Limits of Developmental Autocracy. Harvard University Press.
  15. World Bank (2023). East Asia’s Development Experience: Implications for Sub-Saharan Africa.
  16. Rodrik, Dani (2007). One Economics, Many Recipes: Globalization, Institutions, and Economic Growth. Princeton University Press.
  17. AO. Rapport sur l’agriculture et la sécurité alimentaire en Afrique. 2021
  18. UNDP. Human Development Report. 2022
  19. African Union. Continental Integration and Economic Development. 2022

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