La Commission Électorale Nationale Indépendante (CENI), puis la Cour constitutionnelle, ont rejeté, respectivement les 31 décembre et 8 janvier, la liste des candidats de la Coalition Uburundi Bwa Bose (UBB), en lice pour les députations de juin 2025. Ces instances reprochent à certains candidats de la liste d’occuper encore des sièges à l’Assemblée nationale sous la bannière du parti CNL, non membre de la coalition, ce qui contreviendrait à la législation burundaise. Mais leurs décisions sont-elles légalement justifiées ? Non, au vu des textes juridiques en la matière, des faits et de la jurisprudence.
Le rejet de la liste UBB par la Ceni, mardi 31 décembre, a relativement pris de court les observateurs de la scène politique burundaise. La coalition s’était déclarée, auprès du ministère de l’Intérieur, près d’une dizaine de jours plus tôt, et les observateurs de la politique burundaise avaient commencé à craindre le refus de la coalition. Surtout que le leader de celle-ci, Patrick Nkurunziza, avait annoncé qu’il n’écartait pas d’intégrer des membres venant du Congrès national pour la liberté (CNL), dont Agathon Rwasa, la figure clé de l’opposition, particulièrement craint par le parti au pouvoir.
Mais le Ministère avait rapidement pris acte du dépôt, rassurant les pessimistes, alors qu’Agathon Rwasa, évincé de la tête du CNL, annonçait dans la foulée sa candidature via la liste de la coalition UBB. De quoi raviver, chez les nostalgiques du changement dans la gouvernance burundaise, les espoirs d’une opposition forte pour contrer la domination du parti au pouvoir. Ils s’exaltaient que monsieur Rwasa, après qu’il ait été, depuis 2023, éjecté du jeu politique, au travers des textes successifs verrouillant les possibilités de sa candidature, ait pu trouver une fenêtre de retour.
Ils s’exaltaient.
Jusque, donc, au jour du couperet : la Ceni a rejeté les candidatures de la coalition UBB sur le fondement de l’article 7, al.3 de la loi sur les partis politiques selon lequel « nul ne peut être affilié à plus d’un parti politique à la fois » et 112, al.3 du code électoral qui stipule que « le mandat d’un député peut prendre fin s’il quitte volontairement le parti pour lequel il a été élu ou s’il en est exclu (…) ».
Les espoirs furent de courte durée…
Des dispositions juridiques mal interprétées ?
La Ceni s’est appuyée sur l’idée selon laquelle certaines candidatures de la liste sont celles des députés qui représentent encore officiellement le parti CNL à l’Assemblée nationale (A.N). Puisque ces derniers n’ont pas formellement démissionné de l’A.N et qu’ils n’ont pas été exclus du CNL, la Ceni a considéré qu’il s’agirait là d’une incompatibilité et a rejeté la liste.
Une douche froide.
Cependant, la liberté de changer d’affiliation politique, garantie par la loi sur les partis politiques (art 7-1), contredit le fond de ce reproche. En vertu de cette disposition, tout membre d’un parti politique, député ou pas, peut librement en démissionner et changer d’affiliation politique. La législation ne précise pas de délai ou de procédure contraignante pour que les députés officialisent leur changement.
Selon le code électoral, les candidats doivent être inscrits sur la liste d’un parti politique, d’une coalition ou en tant qu’indépendants (art. 127). Toutefois, ce texte n’interdit pas explicitement à un député en fonction de se présenter sous une autre bannière lors des élections suivantes, avant d’avoir officiellement démissionné de son poste ou de son parti actuel.
Ces lacunes législatives auraient dû inciter la Ceni à une lecture plus souple, fondée sur les principes de droit et d’équité.
En l’absence d’une loi claire, la jurisprudence s’impose
L’arrêt de la Cour constitutionnelle, le 8 janvier, à la suite du recours introduit par la coalition UBB, ne comportait pas de référence juridique explicite. Cette haute juridiction semble néanmoins avoir confirmé la décision de la Ceni, en invalidant la légalité des candidatures de la coalition pour les députés siégeant pour le compte du CNL.
Dans la réalité, en l’absence de disposition claire dans les textes interdisant à un député siégeant sous un parti de se présenter avec une coalition différente lors d’élections ultérieures, les principes universels de droit, d’équité et de non-discrimination ou encore la jurisprudence, auraient dû s’imposer. Juridiquement, dans un contexte d’ambiguïté de la législation, la jurisprudence joue un rôle clé.
“Dans la mesure où elles sont rédigées en des termes généraux, voire ambigus, les règles générales de conduite doivent être interprétées. Telle est la première fonction de la jurisprudence” (De Theux, Axel, et al., éditeurs. Précis de méthodologie juridique. Presses universitaires Saint-Louis Bruxelles, 1995)
Pour rappel, en 2008, plus d’une dizaine de députés du Frodebu (Front pour la démocratie burundaise) exclus de leur parti pour leur proximité présumée avec le parti au pouvoir, le Cndd-Fdd, mais toujours en fonction à l’Assemblée nationale, ont pu se présenter sous la bannière d’une nouvelle formation politique, le Frodebu Nyakuri, sans être inquiétés. Ce précédent aurait dû, par exemple, guider la Cour dans sa décision.
Une menace pour la démocratie pluraliste
En excluant ou en affaiblissant la coalition UBB, perçue comme un regroupement capable de redynamiser l’opposition, la Ceni et la Cour constitutionnelle renforcent les craintes d’un retour au monopartisme au Burundi. D’aucuns estiment qu’en éloignant, de la course électorale, les candidats issus de la deuxième force politique du pays, après son éclatement, ces institutions sapent les bases de la démocratie pluraliste et représentative.
À quelques mois des élections législatives, cette controverse jette une ombre sur le processus électoral et laisse entrevoir des lendemains incertains pour la démocratie burundaise.