Troupes burundaises en RDC : légitimité ou mercenariat déguisé ?

Des troupes burundaises arrivant à Goma en RDC en mars 2023

Les derniers combats opposant des rebelles du M23 aux forces armées de la RDC appuyées par des troupes burundaises notamment suscitent des remous. D’aucuns estiment que Gitega a “vendu” ses militaires dans une forme de mercenariat et réclament leur retrait. Mais sur quelle légitimité reposent le déploiement et la présence de ces troupes en RDC ? Est-ce vraiment du mercenariat ? Éléments de réponse.

La toile s’enflamme. Après des combats, dimanche 12 janvier et la semaine qui a suivi dans le Masisi, l’opinion burundaise, essentiellement de la diaspora, hausse le ton. Entre indignation, colère et révolte. Des internautes, face au déploiement des troupes qu’ils disent “vendues”, ne cachent pas détester un pouvoir qu’ils voient corrompu, avarié. Ils appellent au retrait des militaires burundais de la RDC, voire à leur soulèvement, à une mutinerie…

Des intentions malsaines, souvent teintées d’ethnicisme, sont prêtées. Des conséquences désastreuses, dont des trépas en série, rapportées, à qui mieux mieux. Les rumeurs vont bon train. Entre autres voix qui s’élèvent, le Focode, une des principales organisations de la société civile en exil, ne cesse de fustiger une guerre qui “ n’a rien à voir avec les intérêts du Burundi”. Des militaires eux-mêmes désapprouveraient cette opération. Quant aux politiques, les avis semblent mitigés.    

Alors, le Burundi a-t-il raison d’avoir envoyé des bataillons en RD Congo pour combattre aux côtés des FARDC ? Ou même, en avait-il le droit ? Bref, de quelle légitimité légale est le nom ce déploiement de troupes qui suscite un tollé ? 

Un déploiement sous le sceau du droit, mais…

Juridiquement, le déploiement de forces armées d’un État sur le territoire d’un autre État, dans le cadre d’un accord, n’est pas interdit. Pour peu que cet accord soit officiel et conforme au droit international. Le droit international permet aux Etats de conclure des accords avec d’autres Etats (Charte des Nations Unies – Art 2.1° ; Déclaration sur les relations amicales entre les États ) en vertu du principe de souveraineté de tout État.  

Ces dernières années encore, des pays ont ainsi multiplié des accords de coopération militaire, notamment pour contenir la menace terroriste. Les alliances dans la corne de l’Afrique1 entre l’Egypte, la Somalie et l’Erythrée ou encore la fameuse AES2 (Alliance des Etats du Sahel : Burkina Faso, Mali et Niger) sont des exemples récents. 

Au Burundi, la prérogative d’envoyer des militaires en mission de combat à l’étranger est de la compétence du seul chef de l’État. 

La Constitution stipule que “(…) seul le président de la République peut autoriser l’usage de la force Armée (…) dans l’accomplissement des obligations et engagements internationaux” (Art. 255). Selon cette Loi fondamentale, il a tout de même l’obligation d’en «informe[r] le Parlement promptement et de façon détaillée sur la ou les raisons de l’emploi de la force de défense nationale ; tout endroit où cette force est déployée ; la période pour laquelle cette force est déployée » (art.256).

Dans le cas d’espèce, l’actuelle présence des troupes burundaises en RDC fait suite à la décision, en juin 2022 par les chefs d’Etats de la communauté est-africaine, de la mise sur pied d’une force régionale devant éradiquer les groupes armés qui pullulent dans l’est de la RDC. Le contingent burundais entre officiellement en RDC le 15 août 2022. 

Si ce déploiement s’inscrit dans le respect du droit international en vertu de cet accord multilatéral, des zones d’ombre subsistent. Alors que le mandat des forces armées de l’EAC en RDC a pris fin en décembre 2023, les troupes burundaises sont restées sur le sol congolais sans qu’un nouvel accord explicite3 d’un engagement armé auprès des FARDC ne soit conclu. Ce flou est davantage entretenu par le manque d’informations, notamment au sujet de la durée du déploiement qui, si le Parlement en avait été informé conformément à l’article 256 de la Constitution, serait connue. 

Une légitimité contestée : entre sécurité nationale et intérêts obscurs ? 

La légitimité de cette présence en RDC n’est donc peut-être pas à rechercher dans la légalité, mais dans les raisons.

Pour rappel, la mission première des forces armées burundaises est de défendre le pays contre toute agression extérieure ou menace à l’intégrité territoriale. A ce titre, elles interviennent notamment pour contrer des groupes armés, des organisations terroristes ou toute activité criminelle menaçant la sécurité nationale. Elles s’assurent de protéger les frontières contre les intrusions, les trafics illicites ou la prolifération des armes. En outre, elles peuvent, dans le cadre d’accords bilatéraux, régionaux ou internationaux contribuer à des missions de défense ou de maintien de la paix4

Ainsi, par le passé, les soldats burundais ont sans cesse été déployés dans plusieurs pays africains. Soit dans le cadre des missions onusiennes de maintien de la paix, soit sous la forme de coopération militaire bilatérale officielle ou de collaborations officieuses. 

Au Congo (RDC), la documentation existante atteste de nombre d’engagements burundais – et d’autres pays de la sous-région des Grands Lacs notamment le Rwanda et l’Ouganda – en appui, par moments, aux forces nationales congolaises ou aux rébellions5 depuis les années 90. 

Ces collaborations officieuses, portées à la connaissance du public au travers d’enquêtes rigoureuses indépendantes et autres rapports, n’ont évidemment jamais été reconnues, par l’une ou l’autre des parties. Elles convergent toutefois sur la poursuite des rébellions hostiles6 ayant comme base arrière la RDC, dans des logiques géopolitiques de rivalités sous-régionales7 entre pays de la région des Grands Lacs, sur le pillage des minerais 8que regorge l’Est de la RDC et sur des enjeux de soutiens identitaires transnationaux9

Urgence d’une communication gouvernementale stratégique et transparente

Sans doute, l’un ou l’autre de ces facteurs, sinon tous, structure le conflit actuel et justifie la présence des troupes burundaises en RDC. 

Il reste que, contrairement au passé, le fait est officiel et les opérations militaires rapportées et commentées systématiquement avec toutes les falsifications et autres caricatures qui vont forcément avec. 

C’est l’heure du numérique. 

Nous devons tous en demeurer conscients, nos gouvernements les premiers, notamment en s’assurant d’être habiles dans nos communications. 

NOTES

  1. En octobre 2024, ces trois pays se sont engagés à fournir toute forme de soutien aux forces de sécurité somaliennes et à protéger la souveraineté de la Somalie.Voir Abraham Tekle, Egypt, Somalia, Eritrea form alliance amid Ethiopian dam tensions, The Reporter Ethiopia, publié le 12 octobre 2024, consulté le 18 janvier 2025. Disponible sur : https://www.thereporterethiopia.com/42245/. ↩︎
  2. En septembre 2023, le Burkina Faso, le Mali et le Niger ont formé l’AESl, une coalition visant à mutualiser leurs efforts en matière de sécurité et de défense. Cette alliance a conduit au déploiement d’une force conjointe de 5 000 soldats pour lutter contre l’extrémisme violent dans la région. Le Sahel, Le Burkina, le Mali et le Niger créent l’Alliance des États du Sahel (AES) : Les trois pays prennent leur destin en main, publié le 18 décembre 2023, consulté le 18 janvier 2025. Disponible sur : https://www.lesahel.org/le-burkina-le-mali-et-le-niger-creent-lalliance-des-etats-du-sahel-aes-les-trois-pays-prennent-leur-destin-en-main/.
    ↩︎
  3. L’accord de défense signé en août 2023 semble davantage porter sur « la formation ou encore les patrouilles au niveau des frontières» pour « gérer des criminels transnationaux» ↩︎
  4. Articles 13, 14 et 17 de la loi organique de février 2017 sur les missions de la force de défense nationale du Burundi. Disponible sur : https://presidence.gov.bi/2017/02/20/loi-organique-n1-04-du-20-fevrier-2017-portant-missions-organisation-composition-instruction-conditions-de-service-et-fonctionnement-de-la-force-de-defense-nationale-du-burundi/ ↩︎
  5. Voir par exemple : International Crisis Group. Le Congo à la guerre : Conflit au Congo-Kinshasa. Rapport n° 2. International Crisis Group, 2000. https://www.crisisgroup.org/sites/default/files/02-congo-at-war-french.pdf.; Institut de la Vallée du Rift. Les Banyamulenge : Insécurité et identité dans les Hauts Plateaux du Sud-Kivu. Projet Usalama 8, 2018, Rift Valley Institute, https://riftvalley.net/wp-content/uploads/2018/06/RVI-Projet-Usalama-8-Les-Banyamulenge-FR.pdf.
    ↩︎
  6. International Crisis Group. (2020). Averting Proxy Wars in Eastern DR Congo and the Great Lakes. Disponible sur : https://www.crisisgroup.org/fr/africa/central-africa/democratic-republic-congo/b150-averting-proxy-wars-eastern-dr-congo-and-great-lakes?utm_source=chatgpt.com, consulté en janvier 2025. ↩︎
  7. International Crisis Group, Ibid. ↩︎
  8. Sonia Rolley. (Août, 2024). En RDC, l’échec patent de la traçabilité du coltan, indispensable aux smartphones. Le Monde disponible sur https://www.lemonde.fr/afrique/article/2024/08/29/en-rdc-l-echec-patent-de-la-tracabilite-du-coltan-indispensable-aux-smartphones_6298239_3212.html. consulté en janvier 2025. ↩︎
  9. Amnesty International. (October, 2024). Why is the Democratic Republic of Congo Wracked by Conflict ? Disponible sur : https://www.amnesty.org/fr/latest/campaigns/2024/10/why-is-the-democratic-republic-of-congo-wracked-by-conflict/ ↩︎

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