Non, le Burundi ne fait pas de l’éducation un domaine prioritaire

L’éducation est-elle réellement une priorité pour le développement du Burundi ? En tout cas, les autorités burundaises ne cessent de le marteler. Tel évoque l’engagement du gouvernement au développement du secteur éducatif, tel autre des stratégies mises en place, etc. Le discours semble décisif. Mais la réalité du terrain ne semble pas corroborer ces déclarations. Les promesses peinent à se concrétiser, laissant planer l’inquiétude d’enfumages. Décryptage.

Encore fin janvier dernier à Bujumbura, à l’occasion du lancement du programme «Twige Twese», François Havyarimana, le ministre en charge de l’Éducation nationale et de la Recherche scientifique, ne s’est pas privé de le mettre en exergue : 

Le gouvernement burundais ne ménagerait aucun effort pour développer l’éducation, selon ce discours officiel. A l’ère de la vision Burundi 2040-2060, il est convaincu de sa place incontournable pour le développement. Aussi, en appelant les enseignants à « collaborer avec les parents pour une éducation de qualité des enfants, fondée sur une conscience éveillée et l’humilité des éduqués »2, le président Evariste Ndayishimiye insista, fin 2023 lors de la Journée mondiale des enseignants, sur le rôle clé du secteur éducatif dans la transformation du pays.  

Sur le plan des solutions à optimiser le secteur, le chef du gouvernement avait été beaucoup plus explicite, soulignant, lors d’un déplacement à Cibitoke, deux mois auparavant, le « besoin d’une jeunesse bien formée et capable de se faire une place sur le plan régional, voire mondial ».  Parmi les priorités, Gervais Ndirakobuca soulignait alors la mobilisation des partenaires pour la construction de salles de classe, l’équipement des écoles en outils pédagogiques, l’électrification des établissements scolaires ou encore la réforme des programmes d’enseignement, toutes des missions que le gouvernement assignait au ministère de tutelle3

Sur le papier, l’éducation paraît donc occuper une place de choix dans les politiques publiques. Mais qu’en est-il réellement ?

Un financement public qui interroge

Les pays sont, en vertu de l’Agenda Éducation 2030, fortement recommandés à allouer entre 15 et 20% de leurs dépenses annuelles, au secteur éducatif. Cette recommandation de l’UNESCO entend « renforcer la résilience, la qualité et l’équité des systèmes éducatifs afin de mieux respecter les engagements financiers du 4ème objectif de développement durable (i.e ODD 4 : Education) »4

A ce sujet, le Burundi, depuis maintenant plusieurs années, n’est pas bon élève. Quoiqu’il ait atteint et même dépassé le seuil international recommandé en 20185, le budget alloué à l’éducation connaît, depuis 2016, une baisse significative  – en partie à la suite du retrait de certains partenariats financiers6

Source : Graphique d’Icatsi n’Ururo à partir des données des lois budgétaires pour les exercices 2020-2021 à 2024-2025

Ainsi que le montre ce tableau, en 2024 par exemple, le budget alloué à l’Education représentait seulement 13 % du budget national, bien en dessous de la recommandation dès 20 %. 

À titre de comparaison, d’autres secteurs tels que la Défense bénéficient d’une attention généreusement bienveillante, avec une tendance constamment croissante, ce qui interroge sur les réelles priorités du gouvernement. Le budget alloué au ministère de la Défense nationale n’a ainsi cessé d’augmenter depuis quelques années alors même que le Burundi n’est pas en temps de guerre. Et les tendances des priorités n’augurent rien de bon.

Source : Données tirées des lois des finances depuis 2020 mises sous graphique par Icatsi n’Ururo7

Des politiques publiques démenties par les actions

Si le Burundi peut se prévaloir de régulièrement projeter pour se développer, à travers moult plans stratégiques et autres visions7, ceux-ci ne se traduisent pas dans les actions concrètes ou même sont contredits par la réalité des politiques mises en œuvre.  Aussi, l’axe  stratégique « Développement du capital humain » du Plan national de développement (PND Burundi 2018-2027) qui entend notamment « améliorer l’offre et l’accès aux services éducatifs et à la formation professionnelle » ne reçoit que 13,8 % du budget total, loin derrière les axe dédiés à la transformation économique  (41,1 %) et à la gouvernance, paix et réconciliation (32,9 %)8. 

L’orientation de l’enveloppe financière dédiée au secteur éducatif semble, elle-même, confirmer une volonté politique du statu quo. Pour exemple : alors que la Vision Burundi 2040-2060 considère la formation technique et professionnelle comme un levier pour l’émergence et vise le développement des « compétences cognitives et technologiques : créativité, esprit critique, communication, coopération »9, ces ambitions ne sont pas appuyées par des mesures concrètes dans les plans budgétaires et les stratégies de mise en œuvre. Ainsi la Loi des Finances 2024-2025 consacre-t-elle uniquement 0.7% de son budget éducatif à l’enseignement technique et professionnel, soit 4.4 milliards de BIF sur plus de 626 milliards de BIF.

De même, tandis que le PND Burundi 2018-2027 ambitionne de “promouvoir la recherche” scientifique et “valoriser l’expertise”10 tout comme la Vision Burundi 2040-2060 de développer un enseignement universitaire de qualité, notamment dans les sciences et technologies11, le budget consacré à l’Éducation dans la Loi des Finances 2024/2025 réserve uniquement 12% au volet recherche et innovation. L’essentiel de cette enveloppe (74%) couvre les frais de fonctionnement, à savoir, surtout, les salaires. 

De quoi faire douter de la sincérité de l’engagement du gouvernement, surtout que, délaissé, le secteur éducatif burundais connaît des défis de plus en plus croissants et inquiétants. 

Des défis multiples qui ne semblent pas émouvoir les pouvoir publics

Les besoins en matière d’éducation ne cessent de croître. Des effectifs pléthoriques au manque d’enseignants qualifiés en passant par l’insuffisance du matériel didactique et des infrastructures inadéquates, le système éducatif burundais est confronté à mille et un défis12

D’après cet article de 2021, seulement 5,1% des élèves burundais ont leur propre manuel. Idem pour les écoles burundaises disposant d’une bibliothèque13. Quant au manque d’enseignants, il y avait de quoi s’alarmer, encore dernièrement, à la rentrée scolaire de septembre. Sur 12 mille enseignants nécessaires, seuls 630 avaient été recrutés, soit à peine une couverture de 5.25%14.  

Cette pénurie, aggravée par une croissance rapide du nombre d’élèves, en particulier depuis que le gouvernement a décrété la gratuité de la scolarité primaire en 2005 sans l’accompagner d’une expansion proportionnelle des infrastructures scolaires – dans certaines provinces, les écoles manquent cruellement de salles de classe, obligeant les élèves à suivre leurs cours à même le sol ou sous des abris de fortune – entraîne des classes surchargées, avec parfois plus de 100 élèves par salle15 loin devant la recommandation de l’UNESCO (40 élèves par enseignant). Tout autant de facteurs qui plombent la qualité de l’enseignement et l’apprentissage des élèves comme l’a souligné le PASEC16.

S’il est facile de s’enthousiasmer de ses actions et/ou de faire rêver par des formules les unes plus creuses que les autres, le manque d’investissements conséquents, la faible valorisation du secteur ainsi que la persistance d’autres défis structurels témoignent d’une politique qui peine à traduire ses ambitions en actes. Des opérations de communications ? Peut-être pas. Mais faire de l’éducation un moteur du développement passera par la dotation d’un budget répondant à ses vrais besoins, en respectant notamment les recommandations internationales, mais aussi par une meilleure répartition des fonds pour garantir des infrastructures adaptées, du matériel pédagogique suffisant et une formation de qualité pour les enseignants.  

NOTES

  1. Pour en savoir plus, lire : Jimbere. « Le projet “Twige Twese” pour une éducation inclusive et de qualité au Burundi », Jimbere, 3 février 2025, https://shorturl.at/0FECb 
    ↩︎
  2. Odette Kwizera, « Rentrée scolaire 2023/2024 : UNICEF plaide pour l’augmentation du budget alloué à l’éducation », UNICEF Burundi, 28 septembre 2023 https://uni.cf/3Qpab0E 
    ↩︎
  3. Laurent Barangenza, « Le 1er Ministre rehausse de sa présence les cérémonies de la rentrée scolaire 2023-2024 », RTNB, 19 septembre 2023, https://rtnb.bi/fr/art.php?idapi=7/1/200 ↩︎
  4.  UNESCO. « Financing education ». Consulté le 19 février 2025, https://shorturl.at/B3ZRO 
    ↩︎
  5. 20,6 % du budget national a été alloué à l’Éducation dans l’exercice budgétaire 2018/2019
    ↩︎
  6. En 2015, suite à une situation politique délétère et dans un contexte diplomatique tendu, certains bailleurs de fonds ont gelé leurs financements, le Fonds Commun pour l’Éducation (FCE) a été suspendu.  Ceci a infligé d’énormes difficultés au secteur éducatif étant donné que ses financements provenaient des bailleurs de fonds internationaux à raison de 33%. 
    ↩︎
  7. Loi des Finances 2020-2021 https://www.droit-afrique.com/uploads/Burundi-LF-2020.pdf ;
    Loi des Finances 2021-2022 https://finances.gov.bi/wp-content/uploads/2021/07/Loi-portant-fixation-du-Budget-General-de-la-Republique-du-Burundi-Exercice-2021-2022-compressed-1.pdf ; Loi des Finances 2022-2023 https://www.obr.bi/images/PDF/LOI_N1-22_PORTANT_FIXATION_DU_BUDGET_2022-2023_compressed_1.pdf ;
    Loi des finances 2023-2024 https://finances.gov.bi/index.php/2024/01/03/loi-n1-28-du-31decembre-2023-portant-modification-de-la-loi-n1-16-du-28-juin-2023-portant-fixation-du-budget-general-de-la-republique-du-burundi-pour-lexercice-2023-2024/ ;
    Loi des finances 2024-2025
    https://finances.gov.bi/wp-content/uploads/2025/01/Loi-de-Finances-2024-2025-Modifiee.pdf 
    ↩︎
  8. Ces 20 dernières années, le Burundi s’est notamment doté, outre le CSLP, de la Vision Burundi 2020, du PND (plan national de développement) 2018-2027, ou aujourd’hui encore de la Vision 2040-2060 ↩︎
  9. PND révisé 2023-2027, p4-5 ↩︎
  10.  Vision Burundi pays émergent en 2040 et pays développé en 2060, 2023, p.25 ↩︎
  11. PND Burundi 2018-2027, p.88 ↩︎
  12. Vision Burundi pays émergent en 2040 et pays développé en 2060, Ibid., p26 ↩︎
  13.  Benjamin Kuriyo, Les conditions d’apprentissage méritent une attention particulière, Burundi Eco, publié le 7 septembre 2018 sur http://burundi-eco.com/les-conditions-dapprentissage-meritent-une-attention-particuliere/#.YdBQJCY6_IU ↩︎
  14. Guillaume Muhoza, Les 5 défis majeurs du système éducatif burundais, Jimbere, publié le 5 avril 2021 ↩︎
  15. Agence Burundaise de Presse. « La qualité de l’enseignement au Burundi a régressé alors que l’éducation est l’un des domaines moteurs de la vie du pays », 26 septembre 2024, https://abpinfo.bi/2024/09/26/la-qualite-de-lenseignement-au-burundi-a-regresse-alors-que-leducation-est-lun-des-domaines-moteurs-de-la-vie-du-pays/   ↩︎
  16. Kuriyo, Benjamin. (2018). Les conditions d’apprentissage méritent une attention particulière. Burundi Eco https://burundi-eco.com/les-conditions-dapprentissage-meritent-une-attention-particuliere/ ↩︎
  17. PASEC (2021). PASEC 2019 – Qualité du système éducatif burundais : Performances et environnement de l’enseignement-apprentissage au primaire. PASEC, CONFEMEN, Dakar ↩︎

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